Qu’on la considère comme une idée utopique ou révolutionnaire, la semaine de quatre jours fait parler d’elle. À une époque où la technologie évolue plus vite que jamais et les cas de burn-out des professionnels augmentent, elle pourrait bien représenter le futur du travail.
En quoi consiste réellement la semaine de quatre jours ? Quelles entreprises françaises l’ont adoptée ? Et concrètement, comment la mettre en place ?
C’est que nous allons voir, et bien plus, dans cet article.
Qu’est-ce que le modèle de la semaine de 4 jours ?
Comme son nom l’indique, la semaine de quatre jours consiste à travailler quatre jours, au lieu de cinq, sans réduction de salaire.
Elle peut se mettre en place de différentes manières :
- en réduisant le temps de travail ;
- en augmentant la plage horaire ;
- en supprimant un jour de travail, sans changer l’amplitude horaire.
Ce concept est loin d’être nouveau. En France, sa naissance remonte aux années 90, via le projet de loi Robien. Mais les lois Aubry ont démocratisé la semaine de cinq jours.
Aujourd’hui, la semaine de quatre jours revient sur le devant de la scène, avec des initiatives locales et nationales, principalement en Europe et aux États-Unis.
La situation de la semaine de quatre jours en France
À l’heure actuelle, les entreprises ayant adopté la semaine de quatre jours sont encore rares.
Ce modèle de travail est encore victime de préjugés. De nombreux chefs d’entreprise pensent que retirer un jour de travail est nécessairement néfaste pour la productivité et les relations commerciales.
Comme nous le verrons dans la suite de l’article, la semaine de quatre jours peut être difficile à mettre en place dans certains types d’organisations.
Pourtant, il y a une réelle demande en France. Selon une enquête d’ADP, 60 % des travailleurs français opteraient pour une semaine de travail de quatre jours, si le choix était possible.
Il existe toutefois des disparités entre les répondants sur sa mise en place. Regardons de plus près :
- 83 % des répondants préféreraient travailler plus longtemps durant quatre jours afin de conserver le même salaire.
- 17 % opteraient pour des horaires journaliers inchangés, même si cela signifie diminuer leur rémunération.
On remarque ce sont les 35-44 ans qui sont les plus intéressés par la semaine de 4 jours, avec 62 % qui adopteraient ce mode de travail.
Si la semaine de quatre jours reste une exception, des entreprises françaises ont déjà sauté le pas. C’est ce que nous allons voir maintenant.
Exemples d’entreprises françaises ayant adopté la semaine de quatre jours
Welcome to the Jungle
La célèbre plateforme de recrutement Welcome to the Jungle, à la pointe du marketing RH a bien préparé sa transition vers la semaine de quatre jours.
Après avoir consulté un neuroscientifique, un data scientist et un cabinet de conseil spécialisé, elle a fait passer ses 100 salariés au 4/4e en juin 2019. Pas de réduction de salaire, donc, mais pas de réduction de charge de travail non plus.
Le pari était risqué : au cours des premiers mois, Welcome to the Jungle observe une baisse de 20 % de sa performance. Grâce à une réorganisation, elle a maintenant retrouvé son niveau initial. Après une phase d’expérimentation, les représentants du personnel de l'entreprise Welcome to the Jungle une charte visant à instaurer la semaine de 4 jours a été signée.
Yprema
La semaine de quatre jours n’est pas l’apanage que des entreprises de la tech. Yprema, une PME spécialiste du recyclage industriel est une pionnière !
Depuis plus de 20 ans, 80 % d’employés travaillent en 4/4e. La décision a été prise à la suite d’un référendum interne en 1997, et comptait sur les exonérations de charge garanties par la loi Robien, valables jusqu’à 7 ans après l’adoption du dispositif.
La réduction du temps de travail a réduit la pénibilité des postes, sans freiner l’embauche.
Le Groupe LDLC
La société de commerce en ligne est un acteur important de l’informatique et de la tech en France. Depuis le début de l’année 2021, les salariés du groupe LDLC travaillent quatre jours par semaine, pour 8 heures de travail quotidien.
Le jour additionnel de repos est déterminé en fonction des leurs besoins de chacun et des impératifs de travail. Dans une interview pour France Bleu, Laurent de la Clergerie, dirigeant de LDLC confie :
La raison pour laquelle j'ai mis ça [la semaine de quatre jours] en place, c’est justement ce cinquième jour "off", pour laisser une pause, une bulle, aux salariés. Pour que, dans ce cadre, ils puissent faire tout ce qu’ils n’ont jamais le temps de faire, qu’ils font parfois le soir ou le week-end sans pouvoir se reposer. Grâce à ce jour qu’ils ont dans la semaine, ils ont des vraies soirées et des vrais week-ends en famille. Le pari que je fais moi, étant évidemment que, sur les quatre jours où ils sont au travail, ils soient beaucoup plus efficaces.
Laurent de la Clergerie, CEO de LDLC
Dans une autre interview pour le Figaro, il informe avoir mis les salariés à temps partiel, en augmentant le taux horaire, pour éviter les conséquences négatives sur la retraite.
Les avantages de la semaine de la semaine de 4 jours
Une meilleure productivité
Selon l’Université de Stanford, il existe une corrélation entre le temps de travail et une forte productivité. Ainsi, des salariés qui font de nombreuses heures supplémentaires sont moins productifs, que ceux qui travaillent sur une plage horaire classique.
Mais alors, qu’en est-il de la diminution du temps de travail ?
L’entreprise néo-zélandaise Perpetual Guardian a fait un test. Elle a proposé à ses salariés de travailler seulement quatre jours par semaine, mais payés cinq, durant deux mois.
On peut dire que l’expérience a été un succès : aucun impact négatif sur les finances de l’entreprise. Parmi les facteurs qui expliquent cette réussite, on retrouve des salariés motivés et productifs. Ils ont su s’adapter et s’organiser pour travailler plus efficacement. Loin du présentisme, le temps de travail passé en entreprise s’est révélé productif.
L’étude de Stanford montre également que les pays les plus productifs au monde, comme la Norvège, le Danemark, l’Allemagne et les Pays-Bas travaillent en moyenne 27 heures par semaine, soit l’équivalent d’une semaine de 4 jours.
Voilà de quoi lever le plus grand préjugé concernant la semaine de 4 jours !
Un fort engagement des salariés
Les salariés qui travaillent moins sont souvent motivés et plus heureux. Ainsi, ils se montrent plus engagés envers l’entreprise et moins enclins à regarder du côté de la concurrence.
L’absentéisme et les retards ont tendance à diminuer car les salariés ont du temps pour se reposer et récupérer.
De 2015 à 2017, la Suède a mené une étude expérimentale sur une durée réduite de travail. Les infirmières d'une maison de soins ne travaillaient que 6 heures, cinq jours par semaine. Les résultats sont sans appels : la durée des arrêts maladie a diminué et l’engagement des infirmières est plus fort. Elles ont organisé 85 % d'activités supplémentaires pour leurs patients, comme des promenades dans la nature et des séances de chant.
Les limites de la semaine de 4 jours
Un stress parfois important
Si la semaine de quatre jours est attrayante, tout n’est pas rose pour autant. Si la quantité de travail ne diminue pas, cela peut générer davantage de stress et de pression pour les salariés.
En cas d’absence, les salariés doivent parfois réaliser les tâches les uns des autres pour ne pas entraver le bon déroulement du travail et limiter l’impact négatif sur l’entreprise.
Un système qui peut rapidement imploser sans une organisation adaptée.
Un modèle qui ne fonctionne pas partout
La semaine de quatre jours ne fonctionne pas nécessairement dans toutes les organisations. Certains secteurs d’activité sont plus enclins à réussir la transition vers ce modèle de travail, que d’autres.
C’est ce qu’explique Alexandre Ibanez cofondateur de IBA Services une société de nettoyage professionnel lors d’une interview pour Maddyness : « Si je prends mon exemple, dans le domaine du nettoyage industriel, j’observe davantage des demandes à travailler plus, parce que les salaires sont bas et que les gens cherchent à faire des heures supplémentaires, explique-t-il. C’est l’inverse de boîtes dans les nouvelles technologies par exemple, où les salaires sont bien plus élevés, et où les salariés cherchent donc à travailler moins pour une meilleure qualité de vie et un gain de temps libre, tout en gagnant toujours mieux que la moyenne des Français. »
Réduire le temps de travail pour améliorer le bien-être des salariés n’est pas donc pas une solution miracle, ni universelle.
Mettre en place la semaine de quatre jours : les étapes clés
Clarifiez votre vision de la semaine de travail de quatre jours et définissez vos objectifs
Vous souhaitez instaurer la semaine de quatre jours dans votre entreprise ? Bravo, c’est une belle initiative.
Mais avant de vous lancer dans le bain, il est important de prendre un temps de réflexion :
- Pour quelles raisons souhaitez-vous mettre en place ce modèle de travail ?
- Quels sont vos objectifs et comment allez-vous mesurer les résultats ?
- Que signifie la semaine de quatre jours pour votre entreprise ?
- Comment ce rythme de travail va-t-il s’imbriquer dans votre culture d’entreprise et votre politique de relation client ?
Il est important de clarifier vos intentions dès le départ.
Passer de quatre à cinq jours de travail peut avoir des compétences internes et externes importantes pour votre entreprise. Ainsi, il faut avant tout être réaliste et anticiper les risques possibles. Une évaluation initiale des avantages, des inconvénients potentiels, de l'impact sur les activités et la situation financière de l’entreprise est essentielle.
Mais attention, passer à la semaine de quatre jours n’est pas seulement une décision de la direction. C’est ce que révèle Andrew Barnes, auteur du livre La semaine de 4 jours (payés 5 !). Il est bien placé pour en parler puisque c’est le fondateur de Perpetual Guardian, l’entreprise financière néo-zélandaise que nous avons vu un peu plus haut.
Selon lui, il est indispensable de consulter les collaborateurs sur leurs attentes à propos de la semaine de quatre jours. Ils doivent avoir l’opportunité de proposer des initiatives et de donner leur avis sur ce sujet. Au lieu de laisser la direction de l’entreprise prendre toutes les décisions, privilégiez une approche collaborative.
Considérez l'impact potentiel sur vos clients
Parmi les plus grands sujets d’inquiétude des entreprises, on retrouve la productivité et la relation client. À juste titre : un impact négatif pourrait mettre la survie de l’entreprise en péril.
Il est important d’avoir une vision claire et réaliste des scénarios pouvant survenir lors de la mise en place de la semaine de quatre jours.
Est-il possible de fermer l’entreprise trois jours par semaine ? Ou est-il nécessaire de mettre en place un roulement pour que les clients puissent vous contacter cinq jours sur sept ?
Vous devez avoir cette discussion lorsque vous commencez la semaine de quatre jours.
Tenez compte de la réglementation RH
Si vous prévoyez des journées de travail plus longues, il est important de prendre en compte le droit du travail et les conventions collectives applicables à votre organisation.
Comme c'est le cas pour tout arrangement de travail flexible, des lignes directrices et des éléments clairs sur la façon dont le programme fonctionnera doivent être établis.
En plus de la limite de travail journalière, la politique de semaine de quatre jours doit également tenir compte de tout effet potentiel sur les congés payés, les absences et les heures supplémentaires. Comment seront-ils gérés ?
Il ne faut pas oublier de considérer l'influence sur le personnel à temps partiel. Comment seront-ils affectés par une semaine de travail de quatre jours ?
Autre facteur à prendre en compte : les négociations. Tout changement substantiel à la journée ou à la semaine de travail doit être effectué en partenariat ou en consultation avec les syndicats.
Enfin, il est important d’avoir une approche flexible dans la conception de votre politique de semaine de quatre jours. Il s’agit de définir les conditions dans lesquelles un salarié peut modifier ses horaires de travail pour répondre aux demandes opérationnelles, lors périodes de pointe ou selon les besoins des clients.
Misez sur l’accompagnement
L’accompagnement du service RH est indispensable pour tout projet de changement.
Anticipez les besoins de formation et d’accompagnement. Comment vos salariés peuvent-ils travailler plus intelligemment ? Cela peut passer par l’acquisition d’outils d’automatisation de tâches chronophages ou un allègement des processus.
Dans tous les cas, la réussite du passage à la semaine de 32 heures passe par la responsabilisation et l’autonomie des salariés.
Le rôle du service RH est également d’auditer la charge de travail de chacun de ses salariés.
L’analyse doit se concentrer :
- sur l’évaluation d’une charge de travail cohérente avec le management de talents,
- et sur l’identification des goulots d’étrangement qui l’alourdissent les processus.
Il est essentiel de former les managers, et l'ensemble des collaborateurs, sur l’adaptation au changement.
Les programmes doivent inclure tous les divers composants, règles et processus impliqués dans le plan de transition.
Selon votre culture d’entreprise, les managers peuvent également avoir besoin d'une formation sur la gestion des performances dans un environnement de travail flexible.
Procédez à des expérimentations calculées
Le passage à la semaine de quatre jours nécessite une adaptation des modes de travail, de l’organisation des collaborateurs, et de la culture de toute l’entreprise.
Mais la transformation peut avoir lieu progressivement. Le lancement d’un projet pilote est d’ailleurs l’une des clés du succès des transitions réussies.
La communication : le facteur de réussite
Ce n’est pas une surprise, une bonne communication est l’une des clés du succès du passage à la semaine de 4 jours.
Après l’enthousiasme, des inquiétudes peuvent surgir concernant la charge de travail condensée sur une plus courte période. Ainsi, c’est au service RH d’anticiper les questions des collaborateurs
Il s’agit d’adopter un mode de communication ouvert, pédagogique, transparent – quitte à assumer ses limites.
Dans un projet de transformation au stade expérimental, l’inconnu doit être défini avec autant de soin et de précision que les éléments établis.
Énoncer clairement que l’entreprise mène “une réflexion sur la réduction du temps de travail”, au moyen d’outils prédéfinis, dont l’issue reste inconnue mais sera fixée à telle date, rassurera bien plus efficacement les équipes que des déclarations vagues.
Les responsables RH cèdent trop souvent à la tentation de “rester dans le flou” en espérant se préserver une marge d’action. Mais dans les faits, le manque de clarté a un effet négatif sur la confiance des salariés envers l’entreprise.
La semaine de quatre jours est un modèle de travail dont nous n’avons pas fini d’entendre parler. Grâce aux progrès de la technologie et à une organisation bien pensée et efficace, il est possible de travailler plus intelligemment et moins longtemps.
Sa mise en place nécessite parfois plusieurs tentatives avant de trouver la meilleure stratégie pour les besoins spécifiques de l’entreprise.
Loin d’être une simple solution au bien-être des salariés, il s’agit d’aborder le travail sous l’angle de la productivité, au dépit du présentisme. La transition vers la semaine de 4 jours doit alors s’accompagner d’une transformation profonde des mentalités.